Nour-Eddine Ghaoui, du judo à la force athlétique

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Interview / vendredi 22 novembre 2013 /


Judoka de formation, Nour-Eddine Ghaoui est devenu en quelques années l’un des meilleurs athlètes français en force athlétique. Rencontre.

Bonjour Nour-Eddine. Pour commencer peux-tu nous raconter ton parcours de judoka ?
J'ai commencé le judo en 1984 à l'âge de 4 ans jusqu'à mes 7 ans. Par la suite j'ai dû arrêter le sport en raison de gros problèmes cardio-respiratoires. C'est seulement à l'âge de 10 ans que ma mère m'a autorisé à reprendre le sport avec le karaté et je suis de nouveau revenu au judo à l'âge de 13 ans, dans le petit club de Vinay, près de Grenoble, avec comme professeur David Petit. C'est lui qui m'a appris le judo et qui m'a fait découvrir la compétition, j'ai rarement vu un professeur aussi doué. Par la suite dans le cadre de mes études je suis allé à Grenoble, et j'ai signé au GUC-JCD où les entrainements compétiteurs étaient dirigés par Karim Slimani. J'ai également intégré le Pôle France de Grenoble qui à l'époque était sous la direction de Lionel Gaillat et de Philippe Martin.

Quels souvenirs gardes-tu de cette époque ?
Pendant toute cette période, j'ai eu la chance de côtoyer des grands noms du judo grenoblois comme Sylvio AdigeryBenjamin RouxBruno MureFrédéric Floret, Nordine El Boukili, Karim SlimaniJeanine VeilexSarah Nichilo, Guilaume et Laurent Chaine... En termes de résultats J'ai souvent remporté les championnats de ligue UNSS, FNSU ou Fédéraux, j'ai obtenu ici et là des 3e ou des 5e places aux inter-régions. Je n'ai jamais dépassé le 2e tour aux championnats de France mais j'ai eu l'occasion de combattre contre deux très grands judokas : Mehdi Khaldoun et Christophe Humbert, et cela reste des super souvenirs. Quelques années plus tard, Grenoble a malheureusement perdu son statut de Pôle France pour passer Pôle Espoir et cela a été catastrophique, le niveau a chuté et tous les bons éléments sont partis à Marseille. J'ai alors pris la décision d'arrêter, car il n'y avait plus de lourds, seulement quelques 81kg avec qui on tournait en cercle restreint sans vraiment pouvoir progresser.

Comment t'es-tu retrouvé à la force athlétique ?
En judo j'avais de très bonnes capacités musculaires, mais j'étais toujours limité par mes problèmes respiratoires. Je me rappelle que lors de mes évaluations du bac EPS, en athlétisme nous devions faire un 400m, mais le professeur avait eu pitié de moi et il m'avait proposé de lancer le poids pour ne pas avoir 0. J'ai alors obtenu la note de20 dès le premier essai avec un lancer à 16m (poids école) ce qui à l'époque correspondait au record de France junior UNSS. Plus tard, au pôle, la préparation physique était dirigée par Nicolas Lasorsa, un ancien athlète de l'équipe de France d'haltérophilie, sélectionné olympique, qui m'a souvent supplié d'arrêter le judo pour me mettre à l'athlétisme ou à la force athlétique. Maintenant je regrette de ne pas l'avoir écouté, mais à l'époque ma vie sociale était organisée autour du judo et je n'ai pas pris le risque de perdre de vue mes amis judokas. C'est finalement à Montpellier, où j'ai fini mes études, que tout a été décisif pour moi. J'étais licencié au MUC Judo et c'est Jean-Philippe Gentil et Jean-Michel Ballarin qui m'ont convaincu de faire de la force athlétique et je les remercie vivement aujourd'hui.

Quelle a été ton évolution et quel est ton niveau actuel ?
J'ai pris ma première licence en 2009 au club de l ‘ESSM Force à Saint-Martin d'hères. Les bases de ce sport m'ont été transmises par Christian Buchs et Kader Baali, qui ont étés champions du monde et qui sont des figures de la discipline. J'ai commencé la compétition lors de la saison 2010-2011 durant laquelle je me suis classé 3eme de mes premiers championnats de France Elite. La saison suivante (2011-2012) je n'ai pas concouru à cause d'une blessure et l'année dernière j'ai fini 2eme des championnats de France Elite, en réalisant au passage un record de France au soulevé de terre (310kg) et la meilleure performance toute catégorie confondue au squat (335kg). En début de saison dernière j'ai quitté mon club d'origine pour signer au HCG Grenoble avec qui j'ai remporté le titre de champion de France par équipe Elite Open, avec à la clé deux records de France celui de l‘indice et celui du total. D'autre part, comme je possède la double-nationalité je suis également double champion d'Algérie en titre et je possède les records nationaux. Mon prochain objectif est le championnat de France par équipe 2013/2014 qui aura lieu à Avallon le 14 décembre prochain, nous nous sommes qualifiés moi et mon club en nous classant premiers des phases préliminaires sur plus de 60 clubs engagés.

Peux-tu nous donner des repères en poids pour que l'on mesure mieux ta progression ?
Pour donner quelques chiffres, je suis passé en quatre ans de 140 à 230kg au développé-couché, de 170 à 335kg au squat et de 240kg à 337kg au soulevé de terre, tandis que mon poids de corps est passé de 102 à 122kg. Pour donner des exemples concrets je peux faire 35 répétitions à 100kg au développé couché, faire des séries de 5x5 à 255kg en squat ou encore tripler des barres a plus de 315kg au soulevé de terre.

Une telle progression, accompagnée d'une prise de masse aussi importante pose inévitablement la question du dopage ?
Bien entendu. Je sais, et nous savons tous, qu'il y a de fortes suspicions de dopage dans ce sport comme dans tant d'autres. Que l'on me croit ou pas, je peux affirmer que je n'ai jamais utilisé le moindre produit. Mon régime est uniquement basé sur une alimentation hyper-protéinée et variée. J'utilise quelques uns des compléments alimentaires qui sont proposés sur le marché notamment les protéines, glutamines et bien entendu la créatine, qui jusqu'à nouvel ordre est autorisée par l'Agence Française de Lutte contre le Dopage. Pour finir je n ‘ai aucune Autorisation d'Usage Thérapeutique.

Ou est-ce que tu te situes dans la hiérarchie mondiale ?
Mon meilleur total homologué est de 867kg. Cela correspond à une 12eme place en moins de 120kg lors derniers championnats du monde qui ont eu lieu en Norvège. Mon objectif cette année est de décrocher mon ticket pour intégrer l'équipe de France. Pour cela il faudra que je fasse 922,5kg, c'est le minima requis dans ma catégorie de poids. En France les minimas sont très relevés et du coup cette année un seul athlète masculin a été envoyé aux mondiaux. Je me donne encore deux ans pour atteindre cet objectif.

Les judokas pratiquent souvent le développé-couché. Y-a-t-il des éléments techniques qui peuvent permettent de s'améliorer ?
Oui, contrairement aux idées reçues le développé-couché est un mouvement technique beaucoup plus complexe qu'on ne peut l'imaginer. Il y a pas mal d'éléments qui sont déterminants comme le placement des coudes, des épaules, des poignets, la qualité des appuis, la cambrure ou encore la bonne utilisation de la respiration. Ce qui fait vraiment toute la différence c'est la capacité à pouvoir réduire la course entre la barre en position haute et le point de contact sur la poitrine. En effet plus la course est réduite, moins l'effort à produire est important, c'est le paramètre essentiel. A coté de cela, il y a beaucoup d'autres facteurs et de moyens techniques pour progresser dont on pourrait parler dans un prochain article !

Y-a-il des différences entre le développé-couché pratiqué en salle de musculation et celui de la force athlétique ?
Oui, quand vous faites de la compétition, il y a des éléments d'exécution à respecter comme le temps d'attente avec la barre au niveau de la poitrine et les ordres des arbitres. Nous n'avons pas le droit d'utiliser le rebond, et pour quelqu'un qui n'a jamais fait de compétition il risque de ne pas atteindre les max qu'il avait l'habitude de faire en salle. Par exemple, un 120kg en salle peut raisonnablement se valider à 105kg en compétition.

Comment t'entraînes-tu ?
Je m'entraîne six jours sur sept, avec un jour de récupération le dimanche. Chaque séance se traduit par plus de deux heures et demie d'entrainement spécifique, consacrées uniquement à l'un des trois mouvements. Je fais deux séances de développé-couché, une séance de squat et une séance de soulevé de terre par semaine. Quand je peux, je fais une séance supplémentaire pendant laquelle je travaille uniquement le renforcement du dos et le gainage. Je ne fais jamais d'exercices analytiques de type altères ou poulie, cela n'a pas d'intérêt tout comme les pompes ou le « crunch ». La barre de traction et les barres asymétriques à dips sont toutefois très complémentaires aux exercices spécifiques. En dehors de cela je respecte un certain nombre de règles en termes de nutrition et de récupération. J'ai des rendez-vous réguliers chez le kiné et chez l'ostéo afin de prévenir le risque de blessure et pour favoriser une récupération rapide. Le premier facteur limitant dans ce sport est la blessure, le moindre pépin physique peut être très compromettant voir incapacitant.

Par rapport à ce que tu as pu observer, que penses-tu du travail de musculation qu'effectuent les judokas ?
D'après mes souvenirs et mon vécu, il n'y avait pas beaucoup de musculation dans le cadre de la préparation physique. Je pense notamment que pour ceux qui étaient en structure, la musculation proposée se résumait souvent à faire des pompes et des abdos en fin de séances, ou à avoir un accès libre à une salle, ce qui ne sert pratiquement à rien. Je pense que l'élément le plus intéressant dans ce que les judokas ont l'habitude de faire, ce sont les montées de cordes. Ce que je dis concerne les judokas français, car je me rappelle qu'à Grenoble nous avions accueilli l'équipe cubaine et Driulis Gonzalez avait impressionné tout le monde. Elle effectuait des séries à 120kg au développé-couché alors que les meilleurs garçons de l'époque étaient tout au plus à 100-110 kg. Il y avait également la moins de 48kg Amarilis Savon qui faisait uchi-komi avec la lourde de l'équipe et qui la faisait décoller à chaque répétition.

Penses-tu que les judokas auraient intérêt à pratiquer la force athlétique ?
Tout à fait, Il me paraît nécessaire d'introduire la force athlétique dans la préparation des judokas et ce de façon conséquente. On voit des athlètes de niveau mondial qui gagnent avec seulement un ou deux spéciaux qu'ils parviennent à imposer car ils prennent l'ascendant physiquement. Cela est d'autant plus vrai dans les catégories lourdes. Je pense sincèrement que la clef de la réussite se trouve désormais au moins autant sous la barre que sur le tapis. Si vous prenez un athlète capable de soulever 350kg au soulevé de terre ou de pousser 240kg au développé-couché, il sera quasiment impossible à de le faire plier ou de le dominer au kumi-kata.

Est-ce que ton vécu de judoka t'a servi en force athlétique ?
Oui, surtout dans l'approche de la compétition. La gestion du stress, le dépassement de soi, le judo m'avait déjà tout appris et j'ai été très vite opérationnel. Je crois aussi que la pratique du judo a été primordiale dans ma façon d'appréhender les grosses charges. On peut facilement imaginer que la barre est comme un adversaire avec lequel on combat. La composante mentale en force athlétique c'est la base pour progresser. Certains athlètes qui n'ont pas cette capacité, ont tendance à s'effondrer psychologiquement face à la difficulté et ils ne parviennent pas à passer certains caps.

Quelques vidéos :
> 35 reps à 100kg au développé couché
> 237,5kg, tentative de record de France au développé couché en moins de 120kg, non-homologué
> 320kg au soulevé de terre
> 5x255Kg et 2x270kg au squat
> 3x320kg, 2x330kg au squat

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