Centre de préparation IJF à Alger : le bilan

Judo : les actualités du judo en France et dans le monde / Article / lundi 21 mai 2012 / source : IJF


Dans quelques semaines, le centre africain de préparation olympique d'Alger de la FIJ va provisoirement fermer ses portes pour laisser la place aux jeux de Londres 2012. Après 2 ans de fonctionnement l'heure est au bilan.

Depuis près de deux ans, plus de soixante athlètes et au maximum 40 en même temps, originaires de 26 pays d'Afrique, ont foulé les tatamis du centre sous la direction de son directeur sportif, Gabriel Sapta. Au final, ce sont 10 judokas qui sont qualifiés pour le grand rendez-vous estival. L'heure est donc venue de dresser le bilan et tirer les enseignements de ces deux ans de fonctionnement intensif.

Un parfum de haute performance
Niché au cœur de la forêt de Sidi Fredj, à quelques centaines de mètres du littoral, le petit club de vacances, dans lequel a été installé le centre, a pris au fil des mois des parfums de haute performance. Ici l'on s'entraîne dur et l'on se prépare avec ferveur. Les corps et les esprits sont mis à rude épreuve. Mais l'ambiance est détendue, voire même bon enfant. On sent que les qualifications olympiques sont passées et qu'il n'y a plus la pression du résultat, au moins jusqu'en juillet. Tous les athlètes présents en ce mois de mai 2012 se préparent en prenant un réel plaisir à être ensemble, à transpirer ensemble, avec un seul et unique but, celui d'arriver dans la capitale britannique le plus affûté possible. De l'avis général, tout n'a pourtant pas été simple et le challenge était même très relevé comme le souligne le directeur du centre, Karim Noui: 'Ca a été difficile et compliqué au début car nous ne savions pas réellement où nous mettions les pieds, mais le soutien indéfectible de la FIJ a été d'un grand secours. L'apport financier et logistique de l'Etat Algérien et de la Fédération Algérienne, dirigée par le Dr. Ali Bendjemaa, nous a également permis de proposer des prestations vraiment à la hauteur, à l'ensemble des pays'.

Un engagement sans faille de l'Algérie
Petit à petit, le centre, financé par la FIJ et le gouvernement algérien (financement du séjour des athlètes, frais médicaux, frais de visa, billets d'avion pour la participation aux compétitions internationales, certains déplacements depuis les pays d'origine, primes...), avec le soutien très fort de la Fédération Algérienne de Judo et des différentes fédérations nationales dont les athlètes étaient présents à Alger, a pris sa vitesse de croisière. Chacun a trouvé ses marques et pour les athlètes comme pour l'encadrement, Sidi Fredj est devenu une seconde maison, les athlètes obtenant même leur carte de séjour pour faciliter toutes les démarches administratives.

Un vrai défi
Ce sentiment de challenge et cette nécessité de se retrousser les manches est largement partagé. Ce n'est pas Gabriel Sapta qui démentira. A la demande du Président de la FIJ, Marius Vizer, le directeur sportif est présent sur les bords de la Méditerranée, à quelque 40km d'Alger, depuis le début de l'aventure, il en est même le pilier et le chef d'orchestre. Initialement assisté de Dani Gheorghe qui l'a accompagné pendant tout le début de l'aventure (Dani est désormais en Afrique du sud), Gabriel Sapta pourrait parler pendant des heures de la vie du centre. Depuis deux ans, il a mis entre parenthèses sa vie en Belgique, laissé femme et enfants derrière lui et il a vécu toutes les étapes du développement : l'arrivée dans un pays dont la tradition du judo n'est plus à démontrer mais pour lequel le défi de gérer un centre à l'échelle du continent était grand, le choix du lieu (trois options avaient été retenues), l'arrivée des premiers judokas en août 2010, le choc culturel que cela représentait pour la plupart des sportifs qui n'étaient jamais ou rarement sortis de chez eux, mais aussi et tout simplement le grand manque d'expérience du judo de haut niveau de la plupart des membres du centre.

'Dans les premières semaines nous n'avions que six pays présents. Mais c'était un début. Alors tous les jours, plusieurs fois par semaine, sans relâche, j'ai appelé les présidents de fédérations pour leur expliquer l'intérêt qu'ils avaient à envoyer leurs meilleurs judoka au centre. J'ai appelé et rappelé encore, et encore, pour convaincre un maximum de pays afin qu'ils fassent les efforts nécessaires. Et ça a marché! 26 pays d'Afrique ont finalement répondu à l'appel. C'est bien. On peut faire mieux dans l'avenir, mais je suis content, car c'est une première grande étape pour le judo sur l'ensemble du continent', se rappelle Gabriel, avant d'ajouter : 'On est vraiment partis d'une feuille blanche dans les premières semaines. Des athlètes arrivaient, souvent après des trajets en avion interminables depuis chez eux. Ils étaient déracinés, coupés des leurs et ils ne savaient pas ce que s'entraîner pour se qualifier aux jeux signifiait. Avec tout le staff, nous avons repris tout à zéro et aujourd'hui je suis fier du travail réalisé'.

Les portes du haut niveau
Si l'on demande au 'coach', comme tout le monde l'appelle ici, combien de médailles il espère à Londres, la réponse est sans détour: 'Ca va être compliqué, même si je sais que certains des athlètes du centre ont un gros potentiel et sont désormais en mesure d'ennuyer les meilleurs mondiaux comme ce fut le cas pour Dédé (Dieudonné DOLASSEM -90kg, Cameroun) lors des championnats du monde de Paris l'an dernier où il passa plusieurs tours avant de se faire surprendre sur une petite erreur. Mais Il y a encore du travail à faire: du travail technique évidemment mais aussi du travail physique et de la préparation mentale. Nous avons encore quelques semaines devant nous'.

Dieudonné ne dit pas le contraire. Il précise également qu'ici, il a appris à se battre, dans le sens positif du terme. Il a appris à construire son judo, à attaquer, à prendre des risques et à mettre du rythme. Il a pris confiance en lui, n'a plus peur de ses adversaires quelle que soit leur origine et se croit prêt pour de grandes performances. Si besoin était, sa récente deuxième place aux championnats d'Afrique à Agadir est là pour le démontrer.

C'est une évidence, le groupe de judoka qui est passé par le centre a changé d'état d'esprit. Les portes du judo de très haut niveau se sont enfin entrouvertes pour tout le continent. Depuis déjà plusieurs générations, les meilleurs résultats des judoka africains étaient obtenus par les pays du nord (Égypte, Tunisie, Maroc, Algérie...) qui ont une longue tradition du judo de compétition. Mais tout le monde s'accorde à Alger, pour dire que l'installation du centre dans la capitale du pays a beaucoup apporté à toute l'Afrique, tout en créant une très bonne émulation pour le judo algérien. Les échanges avec l'équipe nationale sont réguliers et les valeurs montantes algériennes font partie intégrante du groupe managé par Gabriel Sapta. La jeune Nachida ZELLOUF en est un parfait exemple. À 20 ans, elle a tout l'avenir devant elle. 7e lors des championnats du monde juniors de 2009 à Paris, elle a depuis conquis le titre junior continental en 2010 et a remporté le championnat arabe en 2011. Parfaitement intégrée au groupe du centre, elle continue à parfaire ses armes et rêve du titre continental senior avant de porter ses espoirs encore plus haut. Ziad Maafi, son entraîneur de club qui assiste également au quotidien Gabriel Sapta dans toutes les tâches administratives du centre, est formel : 'Cette petite a un vrai potentiel et ce qu'elle a appris ici au contact des autres nations africaines va lui servir dans sa carrière sportive mais également dans sa carrière professionnelle. Elle étudie en ce moment pour devenir entraîneur, elle est motivée comme jamais et en plus, les résultats qu'elle a obtenus entre autre grâce au travail du centre, lui ont déjà permis de progresser socialement. Grâce à ses efforts, elle aide beaucoup sa famille. Cela fait vraiment plaisir à voir.'

N'est-ce d'ailleurs pas là, l'une des clés de la réussite du centre d'Alger : avoir donné un horizon nouveau à des athlètes dont les conditions de vie ne sont pas toujours idylliques dans leur pays ou leur milieu d'origine.

Un deuxième père
Carine, qualifiée olympique pour le Tchad ne s'y trompe pas : 'Le coach est devenu notre deuxième papa. Il nous fait souffrir, ça c'est certain, pourtant c'est utile, c'est même nécessaire car on n'a rien sans rien. Mais au-delà de la souffrance, au-delà des difficultés il est présent en permanence pour nous. Il est à l'écoute, attentif, prévenant, tellement humain !'

Les relations qui se sont tissées dans le groupe, au fil des mois, sont perceptibles en permanence. Ici, on n'affiche pas sa nationalité, on ne revendique pas, mais on partage : les moments de peine et de douleur comme les moments de joie. Basile, le Tchadien, n'est pas qualifié pour les jeux, il a même un genou qui le fait souffrir. C'est dur. Pourtant, il est toujours là, souriant, promenant sa grande silhouette dans le centre et se mettant à disposition de tous en tant que partenaire d'entraînement. Alors quand il s'agit de fêter son anniversaire : 'On va mettre le feu!' entonnent en chœur tous les judoka. 'Il faut s'amuser un peu tout de même, il faut de détendre car le jour d'après on sait qu'on va souffrir sur le tatami ou sur la plage lors des séances de préparation physique' précisent les filles du groupe. Alors le soir, après une longue journée de sueur et de courbatures, on sort de gros gâteaux au chocolat, et on fête le grand Basile, on rigole à s'en faire mal au ventre.

Carine, Antonia et et Audrey ont passé une partie de leur temps libre de l'après-midi à confectionner un repas typiquement africain. Elles en profitent pour se remémorer tous ces mois qui viennent de s'écouler. Tournées vers l'avenir, les trois étant qualifiées pour les Jeux, elles n'en ont pas moins l'esprit empli d'images. Tout n'a pas toujours été rose : 'A notre arrivée, tout était différent, les lieux, le temps, les personnes, les mentalités, l'entraînement. Mais aujourd'hui on est vraiment heureuses d'avoir vécu cette fantastique aventure'.

On finit par se retrouver dans le pavillon du coach pour une séance de bonne humeur. La fatigue semble oubliée, la nostalgie du pays envolée, le volume de la musique monte d'un cran et toutes et tous se payent une bonne séance de rythmes africains. 11h, tout le monde au lit. 'On n'est pas la pour s'amuser' dit en riant Gabriel Sapta, avant d'ajouter plus sérieusement : 'Mes athlètes, je les traite et les considère comme de vrais professionnels et il faut un temps pour tout : pour le travail et pour la détente'. Pour plaisanter, toutes celles et ceux qui sont passés à Sidi Fredj ont baptisé l'endroit Guantanamo Fredj, et Dédé de le préciser le lendemain : 'C'est dans la douleur que l'on progresse, au bout du compte, ça fait du bien mais il nous faut des moments de décompression, c'est important'.

L'ouverture au monde entier
Le lendemain matin, la petite fête de la veille est déjà loin, on regarde à nouveau vers Londres. Comme tous les jours depuis deux ans, réveil musculaire à 8:00 précises. Chaque jour, c'est un autre judoka qui est désigné pour sonner le rassemblement. Abdos, fessiers, triceps, pompes... en guise d'apéritif pour le petit déjeuner. Puis ce sera en fonction du programme d'entraînement, séance sur la plage, musculation ou travail au dojo.

La plage, certains avant d'arriver au centre ne connaissaient même pas, tels les athlètes zambiens par exemple. Pas sûr qu'ils aiment aujourd'hui. 'Le sable c'est dur, ça fait mal partout, mais c'est tout de même chouette de s'entraîner dans un tel environnement' disent la plupart. Quand il s'est agi de faire le choix du site pour implanter le centre, la proximité du littoral a indéniablement joué. C'est une vraie richesse. 'D'autres endroits auraient peut-être proposé plus d'infrastructures, mais pouvoir aller courir en forêt, ou faire une bonne séance de préparation physique au bord de la mer n'a pas de prix', indique Gabriel.

Un peu excentré, le centre est effectivement idéalement placé pour organiser la préparation des athlètes. Il y a quelques semaines, l'équipe de Géorgie emmenée par Peter Seisenbacher ne s'y est d'ailleurs pas trompée, et elle est venue elle aussi se frotter à l'élite africaine qui n'a plus à rougir de son niveau.

'Dans l'avenir, il faudrait encore plus ouvrir l'accès du centre aux autres délégations du monde entier' semble être une vraie demande de l'ensemble de l'encadrement. Les conditions sont réunies, moyennant certains aménagements, pour favoriser les échanges.

Alors que les températures remontent sur les côtes algériennes, l'entraînement reprend inlassablement. 'Oh, ça a été difficile au début', se souvient Dieudonné, 'il faisait si froid'. Basile confirme: 'Chez moi, au Tchad, il fait 35, 40, voire 50 degrés toute l'année, et ici c'était la Sibérie'.

'Quand nous sommes arrivés, le toit du dojo était effondré, il a fallu tout refaire. Il y a malheureusement toujours les piliers au milieu du tatami mais nous pouvons tout de même nous entraîner convenablement', raconte Gabriel Sapta. Au programme de la séance du jour, deux heures de travail debout : 'On va puiser dans les réserves encore pendant quelques temps, avant de se concentrer sur la qualité. Les athlètes vont encore participer à deux tournois, l'un en Espagne et l'autre en Roumanie. Ensuite, petit à petit, le centre va se vider de ses occupants à mesure que l'on approchera des Jeux'.

Longtemps indécis sur sa présence à Londres, le coach a la confirmation qu'il sera présent sur les bords de la Tamise en juillet et août prochains. Quand les athlètes l'ont appris, ils ont explosé de joie.

De l'idée à la réalité
Deux ans d'aventure sont en train de s'achever. Ce qui n'était qu'une idée et une envie formulée par la Fédération Internationale de Judo, à savoir développer un centre de préparation olympique pour les athlètes africains, sur le continent africain, à force de travail et d'investissement, est devenu une réalité. Du travail est encore nécessaire, des aménagements, mais que de chemin parcouru. 'Nous devions créer un groupe, un groupe d'athlètes qui tout d'abord devait se qualifier pour les Jeux. C'est aujourd'hui chose faite', explique le Président, Marius Vizer, avant de préciser : 'Mais ce que nous voulions aussi c'était transmettre un savoir technique et pédagogique à un maximum de pays africains car demain ces athlètes qui vont participer à Londres ou qui sont passés ici, vont retourner dans leur pays d'origine et à leur tour vont pouvoir transmettre ce qu'ils ont appris dans le centre. Gabriel Sapta, avec sa connaissance de l'Afrique et de l'entraînement de haut niveau a mené un travail exemplaire. Il faut aussi souligner le soutien de la Fédération Algérienne de Judo et du gouvernement algérien sans qui rien n'aurait été possible. Merci à tous.'

A Sidi Fredj, les athlètes ne se soucient pas encore vraiment de leur avenir lointain. Ils sont pour le moment focalisés sur les Jeux Olympiques. Pourtant nombre d'entre eux se posent tout de même la question de l'après. 'Que vais-je faire ? Comment utiliser tout ce que j'ai appris ici ? Pourrais-je transmettre ? Comment ?...'. Telles sont quelques-unes des questions qui se posent. Certains ont également des projets professionnels et ils/elles aimeraient bien mettre à profit les contacts noués pendant leur séjour en Algérie, pour essayer de concrétiser un rêve, une idée ou faire d'une passion une activité qui leur permettrait de vivre et de faire vivre leur famille. Les challenges sont encore nombreux, mais quand on voit ceux qui ont été relevés pendant les deux dernières années, sur la côte sud de la Méditerranée, tout devient possible. Nul ne doute que parmi la soixantaine de judoka de 26 pays qui ont foulé le centre, bon nombre de judoka feront encore parler d'eux.



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